ÉPILOGUE

Bob Morane sursauta, releva la tête de dessus son livre, porta ses regards vers le grand poste de télévision à cristaux liquides demeuré allumé de l’autre côté de la pièce. Une phrase, lancée par la voix off d’un commentateur d’Euro News l’avait arraché à sa lecture :

À Bruxelles, le Palais de l’Europe soufflé par une explosion souterraine…

Ces paroles venaient en fond sonore sur des images de destruction. Un amalgame titanesque de murs lézardés, de pans de murailles fracassées, de poutrelles tordues, de flammes, de fumées. Des sauveteurs couraient un peu partout… Morane avait déjà visité ce que le peuple de Bruxelles appelait « Le Caprice des Dieux », mais il lui eût été bien difficile de reconnaître dans cet amas cyclopéen de décombres, le prétentieux et scandaleusement dispendieux « Palais de l’Europe ».

Des images, prises sans doute d’un hélicoptère, montraient un cratère béant, d’où s’échappaient une épaisse fumée noire et d’éblouissantes gerbes de flammes. D’après ce qu’on pouvait en juger par ces images, un bâtiment dont le coût avait été évalué à deux milliards d’euros venait d’être changé en quelques instants en un cyclopéen amas de débris.

Toujours en voix off, le commentateur d’Euro News poursuivait :

D’après les premières constatations, l’explosion aurait été déclenchée dans le sous-sol, sous les bâtiments de l’Europe. Tout le sous-sol de la capitale belge est en effet creusé de nombreuses galeries, carrières, égouts, en faisant un gigantesque et inextricable dédale. Tout le quartier du Luxembourg a été ébranlé par l’explosion et en partie détruit. Cette explosion fait penser, en plus terrible, à ces « mines » qu’on creusait sous les tranchées pendant la guerre 14-18. Les dégâts sont énormes et on ne peut encore exactement évaluer le nombre de victimes. On peut être certain cependant qu’il pourrait s’élever à plusieurs milliers vu l’étendue des ravages.

Cette catastrophe rappelle, sous une autre forme, celle du 11 septembre 2001 à New York, quand deux tours de Manhattan furent percutées et détruites par des avions suicides. Cependant, dans le cas présent, dès la nouvelle de la catastrophe, le porte-parole d’Al-Qaida a assuré, sur les antennes d’Al Gezira, n’être pour rien dans cet attentat…

Suivait un tas de remarques et de précisions de toutes sortes, illustrées sur l’écran par des images de plus en plus insoutenables…

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* *

Dans son fauteuil, Bob Morane s’était raidi. Ce fut presque malgré lui qu’il avait murmuré :

— L’Ombre Jaune !

Il se souvenait de ce que Ming avait dit, peu de temps auparavant, dans les catacombes, sous le quartier Manhattan, à Bruxelles… « Il ne faudrait pas vous étonner si, un jour, vous lisiez dans les livres d’Histoire que la conjuration de Catilina avait réussi, ou que César n’avait jamais pris le pouvoir… Que la reine Victoria avait été assassinée et remplacée par un homme à moi… Que, ici à Bruxelles, le palais de l’Europe ne soit détruit par une explosion…» Ce à quoi Bill Ballantine avait remarqué : « Deux milliards d’euros partis en fumée ! » Et Ming avait rétorqué : « Deux milliards d’euros ne sont rien en regard de mon entreprise, Mister Ballantine : ramener le monde à la douce philosophie de Lao-tseu…»

Presque malgré lui, Bob se leva, marcha vers la grande bibliothèque recouvrant tout un mur, au fond de la pièce. Là, il tendit la main vers les vingt-quatre volumes, aux dos chamarrés d’or, de la Grande Histoire Universelle sortis quelques années plus tôt des presses d’Oxford. Pourtant, au moment de dégager le tome « Index », il se retint. Juste à temps. Son bras retomba, tandis qu’il secouait la tête en murmurant :

— Non !… Non !…

Il s’éloignait à reculons de la bibliothèque, et en même temps de la Grande Histoire Universelle. Ne pas ouvrir un de ses vingt-quatre volumes surtout ! Il redoutait d’apprendre que Catilina avait triomphé… que César n’avait jamais conquis la Gaule… que la reine Victoria avait été assassinée et remplacée par un homme de Ming… peut-être qu’Hitler avait gagné la guerre… le comble de l’horreur…

Il alla se rasseoir. Coupa la télévision sur les images de la catastrophe de Bruxelles…

Plus rien de tout ça n’était son problème…

C’était du moins ce qu’il pensait…